Comment intégrer les enfants dans le spectacle ? (épisode 10)
(1ère partie)
C’est souvent la problématique que l’on rencontre, lors de la création de son premier spectacle : intégrer les enfants dans le spectacle de façon intelligente, ludique et sans inquiétude pour les plus petits.
C’est évidemment à juste titre, car bien que les enfants de 6 à 12 ans soient généralement toujours « partant » pour monter sur scène, cela est parfois moins vrai pour les plus jeunes.
Il va donc falloir veiller tout particulièrement à « la méthode » que l’on va mettre en œuvre.
De plus, si la première problématique est assez simple à résoudre, il faut aussi « contrôler » l’enfant sur scène afin que celui-ci soit le plus possible mis en valeur, mais qu’il s’intègre en harmonie dans le cours de votre histoire.
Il serait plus que négatif que votre jeune partenaire en vienne à prendre le dessus sur vous et se mette à jouer « sa propre partition ».
Vous devrez donc, installer là aussi des règles implicites, soit par votre attitude, votre position, votre langage ou parfois l’éclairage qui sera utilisé.
Un point à ne pas oublier, il est très différent de vouloir monter sur scène et d’être effectivement sur scène.
Vous aurez souvent à gérer cet instant de panique qui saisit certains enfants, une fois qu’ils vous ont rejoint sur le plateau.
En déjà « vieux routier » du spectacle, nous avons appris à maîtriser notre appréhension devant le trou noir d’une salle plongée dans la pénombre et l’éblouissement du feu des projecteurs.
Il n’en est pas de même pour les spectateurs qui passent d’un seul coup de la relative sécurité de leur fauteuil à l’inconnu de la scène.
Certains comédiens chevronnés pourtant, parlent de la salle comme de la gueule d’un monstre inconnu prêt à les happer tout cru. Imaginez un instant, la terreur de l’enfant devant ce vide bruissant, bruyant ou inquiétant.
C’est pour cela que je recommande souvent au technicien de laisser la salle partiellement allumée pendant tout le temps où je vais avoir un enfant avec moi sur scène.
Ou, si je le connais et que je suis certain qu’il saura percevoir ce changement d’attitude, au moins jusqu’à ce qu’il estime que celui-ci est suffisamment dans le jeu pour ne plus s’effrayer, je lui demanderais alors de baisser la lumière.
Il m’est arrivé souvent, cela m’arrive et m’arrivera encore de me laisser « piéger » par l’ambiance de l’instant et de ne pas être assez vigilant et parfois – heureusement de moins en moins fréquemment avec l’expérience – de ne pas être capable de discerner l’instant ou l’enfant va basculer de l’excitation et du plaisir à participer vers la peur ou l’angoisse.
J’ai coutume à dire qu’un enfant à un tableau de bord extrêmement riche et très lisible… Son regard !
Avec un peu d’expérience, vous arriverez à lire dans les yeux de l’enfant, toute la complexité de ce qu’il ressent et vous apprendrez peu à peu à « gérer » la situation à la seconde. Un mot, un geste, une attitude peuvent tout faire basculer.
Vous devez être attentif et clairvoyant.
Mais, il n’y a malheureusement aucun guide de lecture du style « comprendre le regard des enfants pour les nuls », il vous faudra apprendre, spectacle après spectacle, erreur après erreur, afin d’acquérir cette forme d’expertise qui fera toute la différence entre un magicien qui fait des tours aux enfants et un magicien pour enfants.
Il existe pourtant quelques clés !
Tout d’abord et cela semble logique, on ne peut pas lire le regard d’un enfant en le regardant du haut vers le bas.
Il vous faudra donc prendre l’habitude de vous placer à la hauteur de ses yeux.
Cela vous imposera de travailler parfois à genou ou même assis par terre en tailleur, si votre morphologie et votre souplesse vous le permettent encore.
Jamais vous ne vous adresserez à un enfant en vous cassant en deux, penché vers l’avant à angle droit, ce qui est une position extrêmement inesthétique.
Évitez aussi, de percher vos jeunes spectateurs sur un tabouret ou une chaise afin de le mettre à votre hauteur.
C’est particulièrement irrespectueux à mon avis, car cela montre votre supériorité, « Je ne m’abaisse pas ! » et en plus l’enfant va avoir une autre source de crainte, la peur de tomber.
Et s’il n’éprouve pas cette crainte, vous le limitez dans sa liberté de mouvement, on ne peut pas être heureux sous la contrainte.
Souvenez-vous de la phrase de Januz Korzsak dont je vous parlais au début de cet ouvrage.
Vous ne vous abaissez pas en vous mettant à la hauteur d’un enfant, vous vous élevez !
Autre point important, ne coupez jamais le contact visuel avec votre jeune partenaire.
Pour cela il faut que je vous explique une particularité cognitive des enfants.
Chez eux, le visuel prime sur l’auditif, c’est-à-dire que si un enfant ne voit plus ce qui est face à lui, il va très vite considérer que cela n’existe plus.
On remarque cela chez le bébé qui pleure lorsque sa mère quitte son champ de vision, car pour lui, elle a disparu et c’est une source d’angoisse liée au réflexe primaire de la peur de l’abandon.
Si ce réflexe s’atténue avec le temps, il reste très fort au niveau de l’attention jusqu’à 5 ou 6 ans.
Pour mieux comprendre, voici une constatation que tous les magiciens connaissent.
Il vous est souvent arrivé de voir des enfants se précipiter pour balayer de la main les confettis tombés au pied de la scène dans certains spectacles.
On ne fait généralement pas attention à cela et c’est devenu plus ou moins normal.
Toutefois, il faut savoir expliquer et comprendre cette attitude qui présente tout de même un lourd défaut : pendant que l’enfant joue avec les petits papiers à terre, il ne regarde plus le spectacle.
Cette analyse vous demandera de vous remémorer vos cours de biologie.
Le corps humain est construit sur un squelette dont l’axe principal est la colonne vertébrale.
Chez un enfant de moins de 5 ans, cette colonne présente une particularité, elle a tendance à conserver une posture post-fœtale, c’est-à-dire que la position de l’enfant est légèrement arrondie, la tête étant naturellement entraînée vers le bas et l’avant.
Il lui faut donc pour regarder un spectacle sur scène, alors que les organisateurs ont eu l’idée saugrenue de l’asseoir au premier rang, au prétexte de mieux voir, étirer les muscles extenseurs du cou, afin de redresser la tête à l’inverse de la position naturelle.
Cela provoque au bout de quelques minutes une tension musculaire parfois douloureuse ou gênante.
L’enfant va donc soulager son cou, en baissant la tête. C’est à cet instant qu’il va « perdre » le contact visuel avec le spectacle.
N’oublions pas que si les magiciens connaissent en spiritisme « les esprits frappeurs », les enfants eux subissent les influences des « esprits zappeurs » et par conséquent si le spectacle n’est pas très passionnant, ce qui est malheureusement souvent le cas en magie, il ne va pas redresser la tête tout de suite pour assister à la représentation et très vite, il va « oublier » et commencer à s’ennuyer, car rien n’attire son attention dans son champ de vision.
Rien… sauf les petits bouts de papier, ou les confettis répandus sur le sol, juste à sa portée.
La suite vous la comprendrez aisément, tout devenant jouet dans l’esprit d’un petit, il y trouvera sa nouvelle source d’inspiration.
Votre beau costume noir de magicien et vos trucs de magic-shop n’auront aucune chance face à l’univers féerique proposé par quelques confettis oubliés.
Après cette très longue digression, il nous faut donc en tirer une règle.
La meilleure place ou tout de moins la plus confortable pour les touts petits, n’est pas forcément au premier rang, surtout si vous travailler sur une scène surélevée.
Dans le cas d’une salle en amphithéâtre ou de plain-pied c’est un peu différent, mais je pense avec le temps que la meilleure place est celle que l’enfant choisira par lui même et il doit toujours avoir le choix.
J’ai mal aux yeux !
Un autre point important, c’est la puissance d’un éclairage de scène.
L’enfant était dans la pénombre, il arrive sur scène et de suite l’artiste le place face à la salle pour le faire applaudir – c’est une réaction normale pour tous les magiciens.
Mais c’est une très mauvaise « normalité », car l’enfant passant brutalement de l’ombre à la lumière va forcément avoir une réaction d’éblouissement : main sur les yeux, début d’irritation oculaire, larmes…
Il faut donc procéder par étape, on accueille l’enfant, le dos au public, ce qui est normal, le petit escalier conduisant à la scène étant souvent sur un des côtés de la salle et il sera automatiquement dans cette position.
Mais avant de le faire se retourner, on va lui dire bonjour, lui demander son prénom, en bref on va le mettre en confiance avec si besoin une mention sur la puissance de la lumière, « il y a beaucoup de lumière non, mais regarde, c’est rigolo on ne voit personne dans la salle… », puis à ce moment-là, on va conduire l’enfant face aux spectateurs, mais en occupant son esprit soit par les paroles, soit par un geste ou une action qu’il va devoir faire, mais qui ne doit pas être une source de renforcement de sa timidité naturelle.
À partir de cet instant, on ne le lâche plus psychologiquement, le fait d’être à ses côtés ne suffit pas, il faut être son repère absolu, nos regards ne doivent pas perdre le contact.
Un peu d’expérience vous permettra de rester avec l’enfant sans perdre les autres spectateurs.
Je ne vais pas rentrer dans le détail, car rien que sur le sujet du regard de l’artiste, on pourrait écrire un autre ouvrage.
Vous remarquerez que nous n’avons pas encore commencé notre premier tour participatif.
Mais vous l’aurez compris, faire de la magie participative, ne consiste pas du tout à faire monter un enfant sur scène et lui mettre un truc dans les mains, c’est beaucoup plus complexe que cela et doit répondre à des actions et des raisons précises logiques qui feront progresser la dramaturgie de votre spectacle. Intégrer les enfants dans le spectacle n’est pas seulement une obligation vis à vis des organisateurs, mais bien une nécessité dans la conception d’un spectacle jeune public.
Bonjour Mr Peter Din,
Je fais de la magie pour les enfants depuis plus de vingt ans et cela à été un réel plaisir de lire vos posts.
Malgré ma longue expérience dans ce domaine j’ai vraiment appris beaucoup de choses vraiment très interessantes en vous lisant.
Je vous en remercie.
Bien à vous,
Mano d’Oro